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Internet, un monde d'Archives

On parle à tort de virtualité lorsqu’on parle d’internet et pourtant toutes nos informations (qui ne sont pas virtuelles, mais dématérialisées), sont inscrites sur des supports physiques, qu’il soient disques durs, serveurs ou encore cloud. Toute information pour être accessible a besoin d’être stockée, mais qu’est-ce que des informations stockées, sinon des archives ? Ou comment un incident mineur m’a amené à me poser des questions majeures.

Il y a quelques semaines, j’ai eu le désagrément de perdre un disque dur entier. Six cents gigaoctets de données, de choses qui m’étaient chères, une partie de mon histoire culturelle envolée. Si ça avait été la première fois, je vous aurais fait une longue litanie sur ce sentiment étrange que l’on éprouve à ce moment-là. Proche, mais pas comparable à la sensation d’une famille ayant vu son foyer brûler, vos archives sont, contrairement à vos meubles, dupliquables.

Beigbeder écrivait « l’amour ne dure que trois ans », votre disque dur risque lui de se faire la malle juste après votre dulcinée.”

Selon Backblaze, un spécialiste du stockage en ligne, au bout de quatre ans d’utilisation permanente, 20 % des disques durs sont tombés en panne. Au bout de six ans, ce chiffre atteint les 50 %. Bien sûr, les sites de stockage en ligne ont tout intérêt à nous faire comprendre cette réalité puisqu’ils sont un début de solution à ce problème. Le cloud (le fait de stocker sur des serveurs en ligne plutôt que sur votre petit disque dur), et sa redondance (le fait de dupliquer les  informations pour les sécuriser), est donc envisagé par tous, même les entreprises.
Fini l’achat et la maintenance des serveurs en interne, au risque d’ailleurs de saturer un réseau d’entreprises qui passe son temps à envoyer les données à sauvegarder. On externalise, on fait valoir la clause de contrat en cas de problème pour être indemnisé, mais comme dans le cas de la maison brûlée, qui peut donner une valeur à un fichier que vous êtes le seul capable d’estimer ?

Tout garder ?

Il y a donc des données personnelles, sensibles, qu’il nous faut conserver individuellement. Et puis il y a les données patrimoniales qui doivent être sauvegardées, et plus encore, mises à disposition. En effet, quel meilleur moyen de sauvegarde que celui de permettre à tous de conserver une copie de l’histoire commune ?

Si nous pouvions nous satisfaire, il y a maintenant quatorze ans, de l’idée géniale de Jimmy Wales de permettre à tous de partager son savoir via Wikipedia, il faut bien avouer que c’est maintenant aux gouvernements de mettre en place la prochaine étape, celle de l’accès aux données publiques, l’opendata. Un moyen pour le citoyen d’accéder aux archives de la ville, évolution de la démographie, consommation d’eau, utilisation des dépenses publiques.

Si vous vous intéressez à l’évolution de l’Open-Data dans le monde allez voir sur le site « Open Data Census« .

Les archives du patrimoine

Encyclopédie, informations publiques, reste encore la difficile question de la mise à disposition des données économiques d’entreprise et scientifiques, qui on sait, sont souvent pour ceux qui les génèrent  les raisons de leurs bénéfices. Mais la Culture ?

La culture n’échappe pas à ce raisonnement. Ceux qui produisent de la musique, des films, des photos sont financièrement dépendants de la vente de leurs créations, désormais numériques. L’accumulation des ces données propriétaires constitue et constitueront le futur de notre histoire culturelle. Voilà encore des données importantes à stocker en ligne. Ces données, encore sous droits d’auteur, sont actuellement stockées et disponibles via les médiathèques ou via des services payant comme Spotify ou Netflix. ?
En fonction des législations, ces productions culturelles, tombent un jour dans le domaine public. En restant très approximatif, comptez entre 50 et 70 ans après la mort de son auteur.


« Il faudra attendre pour écouter les Beatles sur le site de la BNF »


Blague à part, la BNF a commencé, fin décembre, à mettre une partie de ses archives en ligne sur Youtube et Dailymotion. Plus surprenant, on se rendra compte que ces archives sont en fait en vente sur Itunes, certainement un moyen de payer le coût de la numérisation.

Trois belles initiatives de mise à disposition d’archives :

Archive.org (qui héberge entre autres la fameuse « Wayback machine »). Archive.org est un site participatif qui héberge des contenus (audio, vidéo, textes, photos ou encore logiciels) en creative commons, c’est-à-dire à disposition du public. C’est un gouffre, on y trouve tout et rien. Pour la petite histoire, le site, hébergé en Californie s’est largement inspiré de la mythique Bibliothèque d’Alexandrie. C’est tout naturellement que le miroir du site a été installé dans cette même ville, dans la « nouvelle » Bibliotheca Alexandrina.

UbuWeb est un site longtemps resté confidentiel et pourtant fondé en 1996. On y trouve historiquement de la poésie visuelle puis sonore. Ce site est devenu petit à petit le site d’archives de l’avant-garde créative. On y trouve du Marcel Duchamp, Laurie Anderson, Jean-Michel Basquiat ou encore John Cage. Les archives y sont parfois légales, parfois non, une situation assumée par ses créateurs qui affirment rendre service en mettant à disposition des éléments rares, souvent introuvables ailleurs, et retirables du site sur demande des ayants droit.

Culturalequity.org est un site fondé par Alan Lomax, musicologue et homme de radio ayant sillonné le globe à partir des années 30 pour enregistrer, documenter de façon sonore les ‘bruits’ de la planète. On y trouve surtout des pépites de la musique afro-américaine, mais aussi des Caraïbes, du Maroc ou encore de la Russie. Une mine d’or !


« It still remains for us to learn how we can put our magnificent mass communications technologyat the service of each and every branch of the human family. »

Alan Lomax


La plus lucide démarche institutionnelle revient sans nuls doutes au Rijksmuseum d’Amsterdam et à son site Rijksstudio. Un site mettant à disposition plus de 150 000 photos (haute résolution) d’œuvres d’art. « Nous sommes une institution publique et donc les objets et œuvres que nous détenons sont, dans un sens, la propriété de tous » déclarait Monsieur Dibbits, directeur de la collection du musée.

Non content de mettre à disposition, là ou certains restreignent l’accès, le Rijksstudio facilite le partage des œuvres et vous encourage même à les utiliser pour vous faire, par exemple, une coque de téléphone portable à partir d’un tableau de maitre.

On voit donc qu’il y a différents enjeux quant à l’archivage, dans un premier temps, et à la mise à disposition de la culture sur Internet, dans un deuxième, avec toutefois des approches différentes. Qu’elle soit légaliste (Archive.org), pluraliste (Ubuweb), désintéressée (Culturalequity) ou tout simplement maline (Rijksstudio).

Car la question des archives demande une démarche, ou tout au moins une discipline. Les archivistes de métier le savent bien, on ne peut pas tout archiver. Et d’ailleurs, quelle est la valeur de nos archives,  actuellement plus qu’exhaustives, si nous ne les renseignons pas (les fameuses métadonnées), si nous ne les hiérarchisons pas et enfin si nous ne les vérifions pas ? Une démarche proche de la fonction de journaliste, mais “déconnectée” du rythme effréné de l’actualité.

Ces disques durs, ces serveurs, dont la taille ne cesse d’augmenter, ont besoin d’être alimentés en énergie. Comme on peut le voir dans la vidéo précédente, même le charbon est envisagé en 2014. Il faut donc se pencher sur le coût énergétique de toutes ces sauvegardes. Si la plupart des géants d’Internet se sont posé la question de la responsabilité environnementale de leur pratique, l’économie d’énergie est actuellement plus souvent visée dans une logique de coût financier que de réelle empathie environnementale.

La question de l’archivage nous concerne tous, que ce soit de manière personnelle ou professionnelle,  cette dernière constitue le socle de notre transmission culturelle. Pourtant, on voit bien que les institutions peinent à franchir le pas de la mise à disposition. Elles se reposent souvent sur des entreprises privées, pour la numérisation autant que pour le stockage. Un paradoxe, au vu du scandale des collectes d’informations de la NSA (Agence de sécurité américaine) , qui montre l’état américain en train de dépenser des sommes colossales pour stocker, lui, des informations personnelles et privées sur les citoyens.

Edit : Au moment où je publie cet article, j’apprends que le fondateur du système Peer-to-peer Bittorrent vient de mettre en place une solution, cryptée, non-intrusive et gratuite de Cloud en ligne, ça s’appelle Bittorrent Sync.

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Auteur·e

cuisineanxious

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